Dix ans après, que sont devenus les différents protagonistes ?


6 juin 2013 : The Guardian (et, le lendemain, The Washington Post) publie les premiers articles de ce qui sera l’une des plus grandes séries de révélations de la décennie. Depuis plusieurs semaines, un petit groupe de journalistes des deux quotidiens britannique et américain a eu accès à des centaines de milliers de pages de documents internes de la National Security Agency (NSA), la puissante agence américaine de renseignement électronique, chargée de la surveillance d’Internet.

Ces fichiers révèlent l’existence de dizaines de programmes top secret, qui permettent aux espions américains d’inspecter le réseau à une échelle jusqu’alors jamais vue. E-mails, données téléphoniques, messages sur les réseaux sociaux, géolocalisation… Dans le plus grand secret, et avec un contrôle quasi inexistant, la NSA a pu mettre en place des outils de surveillance de masse lui donnant accès à des quantités folles d’informations, en partie repartagées avec ses partenaires au sein de l’alliance « Five Eyes » (Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande).

La source de ce scandale révèle son identité trois jours plus tard : dans une vidéo diffusée par The Guardian, Edward Snowden, employé d’un sous-traitant de la NSA, se présente à visage découvert et explique avoir agi pour protéger la vie privée et les libertés fondamentales des internautes du monde entier. Il a pu télécharger des milliers de documents internes de l’agence et a fui à Hongkong, où il les a remis à des journalistes anglais et américains. Dix ans plus tard, les principaux acteurs de cette affaire ont connu des trajectoires très différentes.

Edward Snowden

Edward Snowden s’exprime à distance lors du festival Wired25, le 14 octobre 2018, à San Francisco, en Californie (Etats-Unis).

Le lanceur d’alerte, qui se décrivait comme un fervent patriote, est aujourd’hui citoyen russe. A la fin de l’année 2022, le Kremlin lui a en effet attribué la nationalité russe à l’issue de près d’une décennie d’incertitudes pour M. Snowden, qui s’était réfugié à Moscou après que ses demandes d’asile avaient été refusées par la plupart des pays occidentaux, dont la France.

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Critiqué pour ce changement de nationalité survenu après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, M. Snowden avait à l’époque expliqué avoir effectué cette démarche pour offrir à ses enfants un cadre sûr – il a eu deux fils avec sa femme, Lindsay Snowden, qui l’a rejoint à Moscou après la publication des révélations. En 2019, il avait publié son autobiographie, Mémoires vives (Le Seuil), dans laquelle il revient longuement sur son parcours et les raisons qui l’ont poussé à transmettre ces documents à la presse.

Les « réfugiés Snowden »

De gauche à droite : la Philippine Vanessa Rodel avec sa fille, les Sri-lankais Nadeeka Nonis avec, à sa gauche, son partenaire Supun Thilina Kellapatha et leurs enfants, et le Sri-lankais Ajith Pushpakumara, tous réfugiés, dans un bureau du bâtiment de la Commission d’appel des demandes relatives à la torture à Hongkong, le 17 juillet 2017.

Avant de quitter Hongkong pour Moscou, Edward Snowden a dû se cacher quelque temps, craignant d’être arrêté. Durant plusieurs jours, il a été recueilli par des réfugiés sri-lankais et philippins ayant fui des violences dans leurs pays d’origine. Ils cherchaient à partir pour le Canada, Hongkong n’accordant quasiment jamais d’asile.

Depuis 2013, six des sept « réfugiés Snowden », dont le rôle méconnu a été mis en lumière par le film Snowden, d’Oliver Stone, sorti en 2016, ont obtenu leur visa pour le Canada. Ajith Pushpakumara, un ancien soldat sri-lankais, attend toujours de pouvoir partir.

Laura Poitras

La réalisatrice Laura Poitras lors d’un événement organisé par l’Académie des arts et sciences du cinéma, au Celeste Bartos Theater du Museum of Modern Arts, le 30 novembre 2022, à New York (Etats-Unis).

La journaliste et réalisatrice américaine Laura Poitras était déjà à l’origine de plusieurs documentaires remarqués sur les dérives de l’armée et des services de sécurité américains avant qu’elle ne soit contactée par Edward Snowden.

Ce dernier lui a donné accès aux documents et lui a permis de filmer les jours précédant leur publication, dans sa chambre de l’hôtel Mira à Hongkong. Elle en a tiré un documentaire exceptionnel, Citizenfour, qui sera un succès critique et d’audience mondiale.

Depuis, elle a réalisé Risk (2017), un portrait de Julian Assange faisant une large place aux accusations d’agression sexuelle portées contre le fondateur de WikiLeaks et le militant Jacob Appelbaum, avec qui Laura Poitras a eu une brève liaison. Son dernier film, Toute la beauté et le sang versé, est un documentaire sur la crise des opioïdes aux Etats-Unis et l’activisme de la photographe Nan Goldin contre la dépendance à ces produits et le groupe pharmaceutique qui les produit.

Lire la critique : Article réservé à nos abonnés « Toute la beauté et le sang versé » : la croisade rageuse de Nan Goldin

Laura Poitras avait emménagé à Berlin pendant plusieurs années, avant et pendant son travail sur Citizenfour, afin de limiter les pressions et les tentatives de piratage de son documentaire ; elle est depuis retournée vivre aux Etats-Unis.

Glenn Greenwald

Le journaliste d’investigation Glenn Greenwald, lors d’une conférence de presse le 11 avril 2014, à New York (Etats-Unis). Il venait de recevoir le prix George Polk aux côtés de Laura Poitras, Ewen MacAskill et Barton Gellman.

Lorsqu’il publie les premiers articles fondés sur les documents Snowden, Glenn Greenwald est chroniqueur régulier de la version américaine du Guardian, où il écrit sur un blog. Un peu plus d’un an plus tard, avec Laura Poitras et Jeremy Scahill, il cofonde le site The Intercept, financé par le milliardaire américain Pierre Omidyar. Il publie, toujours en 2014, Nulle part où se cacher (JC Lattès), livre revenant sur les révélations livrées par Snowden.

Le Monde

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Ses prises de position véhémentes sur une ligne extrêmement critique des gouvernements des Etats-Unis successifs le brouillent peu à peu avec une part importante de la gauche américaine, qui avait pourtant salué son travail sur les documents Snowden.

Ses propos minimisant les tentatives d’ingérence russe aux Etats-Unis, mais aussi les atrocités commises par le régime de Bachar Al-Assad en Syrie ou celles de l’armée russe en Ukraine ont été critiqués à gauche, et en ont fait un invité régulier de l’émission du très conservateur Tucker Carlson sur la chaîne Fox News. En 2020, il a démissionné de The Intercept, estimant qu’un de ses articles sur Joe Biden avait été censuré, ce que l’équipe du média a vivement démenti.

Son mari, David Miranda, un homme politique brésilien qui avait été brièvement détenu à l’aéroport de Londres parce que la police britannique le suspectait de transporter des documents Snowden, est mort le 9 mai des suites d’une infection intestinale, à l’âge de 37 ans.

Le général Keith B. Alexander

Le général Keith B. Alexander, chef de la NSA, lors de la cérémonie organisée dans les locaux de l’organisation pour son départ à la retraite, le 28 mars 2014, à Fort Meade, dans le Maryland (Etats-Unis).

Au moment de la publication des révélations Snowden, Keith Alexander dirige la NSA. Ce général quatre étoiles présente sa démission à Barack Obama, qui la refuse. Il finit par partir à la retraite l’année suivante.

Depuis, il a fondé une société de conseil en cybersécurité, IronNet, et siège au conseil d’administration d’Amazon. Les documents Snowden ont montré qu’il avait, sous serment, menti lors d’une audition parlementaire en 2012, durant laquelle il avait assuré que la NSA ne collectait aucune donnée sur les citoyens américains.

Iain Lobban

Iain Lobban, le directeur du Government Communications Headquarters (GCHQ), auditionné par le Parlement britannique, à Londres, le 7 novembre 2013.

Le directeur en poste du Government Communications Headquarters (GCHQ), le service de renseignement électronique britannique, annonce son départ à la retraite quelques mois après les révélations Snowden, en assurant que les deux événements ne sont pas liés.

Lors des auditions parlementaires auxquelles il participera sur le sujet, il affirmera que les révélations ont surtout profité au terrorisme international et cherchera à minimiser l’ampleur des collectes d’informations personnelles réalisées par les services qu’il dirigeait. Après son départ du GCHQ, il a travaillé comme consultant pour le gouvernement australien, puis a rejoint le conseil de surveillance de Hakluyt & Company, une société de sécurité privée.

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